Les critiques discutent de deux pièces de théâtre avec Marius de Joël Pommerat, une revisite admirable de Marcel Pagnol au goût du jour et Les chroniques, mise en scène d’Eric Charon, un texte écrit d’après les grands romans naturalistes L’assommoir et La bête humaine d’Émile Zola.
Avec “Marius”, Joël Pommerat revisite la pièce de Pagnol au contemporain
À Marseille, Marius travaille dans la boulangerie de son père, où il rêve de voyage et fait face à un dilemme : prendre le large ou rester auprès de celles et ceux qu’il aime. Pour réécrire et mettre en scène ce texte de Marcel Pagnol – présenté dans une première version en milieu carcéral –, Joël Pommerat fait appel à l’imagination des interprètes pour proposer une interprétation contemporaine de la pièce.
À la manière d’un conte, le spectacle nous confronte à des questions essentielles : comment réussir sa vie ? L’amour est-il possible ? Est-il raisonnable de céder au désir de fuite ? Loin de l’original, cette adaptation de Joël Pommerat – invité pour la première fois au Festival d’Automne – livre une version âpre, intense, parfois brutale de la grande œuvre de Pagnol.
Les avis des critiques
- Marie Sorbier : “J’ai beaucoup de tendresse pour ce spectacle. Il est fait avec beaucoup d’humilité, les comédiens sont vraiment mis sur le devant de la scène. La revisite de Pagnol est très juste, on entend vraiment sa langue sur scène bien que ce ne soit pas exactement les mêmes mots. Il y a même quelques scènes mythiques que l’on retrouve, avec les mécanismes réinsérés à l’identique dans la réécriture. Pommerat mélange des comédiens professionnels et d’anciens détenus et encore une fois cela ne se ressent pas. On vient sur scène pour du théâtre et c’est beau à voir. De plus, Pommerat ne s’est pas amusé à se saisir de toute la palette, rire et drame, de Pagnol, ce qui permet à tous les comédiens d’être dans le même registre, de coller à leur époque et de nous emporter avec eux. Je n’avais jamais entendu Marius sous l’angle de la liberté par l’amour comme le propose ici le metteur en scène et ça résonne très justement en moi.”
- Philippe Chevilley : “J’ai beaucoup aimé le spectacle et son aventure humaine, écrit d’abord en prison et maintenant joué dans les théâtres. On aboutit à un concentré d’humanisme, d’émotions qui marchent bien. Il y a un côté très naturel dans cette pièce avec ces comédiens qui viennent droit du sud. Pommerat retrouve le côté très social de l’ouvrage, il rapproche Pagnol de Tchekov par ce côté “petites gens” dévoilé sur scène. Par sa mise en scène et son décor, il fait aussi de Marius quelque chose de dépouillé, mais en gardant un véritable naturalisme. La boulangerie est très concrète, plus vraie que nature. La dimension sociale remise au goût du jour est également très présente. Finalement, je dirais que l’âme théâtrale de Joël Pommerat rencontre la force dramatique de Pagnol et cela fonctionne très bien.”
La pièce se joue du 29 novembre au 8 décembre 2024 à la MC 93, du 12 au 14 décembre à la Ferme du Buisson avec le Festival d’Automne, puis en tournée :
- La Merise, Trappes – avec le Festival d’Automne : 12 au 14 décembre
- La Ferme du Buisson, Scène nationale – avec le Festival d’Automne : 18 ou 19 décembre
- Le ZEF, Scène nationale de Marseille : 8 au 12 janvier
- Théâtre de l’Union, CDN de Limoges : 29 au 21 janvier
- Le Cratère, Scène nationale d’Alès : 4 et 5 mars
- Comédie de Genève : 12 au 21 mars
- Le Parvis, Scène nationale de Tarbes-Pyrénes : 2 et 3 avril
- TnS, Théâtre national de Strasbourg : 23 avril au 3 mai
- Théâtre + Cinéma, Scène nationale Grand Narbonne : 6 et 7 mai
- Le Bateau Feu, Scène nationale de Dunkerque : 20 au 22 mai
- L’Avant Seine, Théâtre de Colombes : 10 et 11 juin
“Les chroniques” d’Eric Charon : les textes croisés d’Emile Zola au théâtre
Éric Charon puise dans sa passion pour l’œuvre d’Émile Zola matière à inventer un spectacle en forme de voyage dans l’épopée du romancier. Séduit par la modernité et la puissance des thèmes sociaux et politiques abordés dans la saga des Rougon-Macquart, il choisit d’associer deux épisodes phares : l’histoire de la déchéance de Gervaise, héroïne de L’Assommoir et l’enquête policière au cœur de La Bête humaine où l’on retrouve Jacques Lantier, le fils de Gervaise, en proie à des pulsions meurtrières.
Au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, le comédien et metteur en scène, membre du Collectif In Vitro depuis 2009, s’attaque à l’œuvre de Zola et donne à voir la nature humaine au plus près de sa noirceur, de sa fragilité et de sa misère.
Les avis des critiques
- Marie Sorbier : “Pour moi, c’est une belle surprise. J’étais d’abord mitigé par l’idée de faire du Zola au théâtre, je la trouvais un peu compliquée. Mais le montage particulièrement habile et la grande prestation des comédiens portent à merveille le projet. Le montage entre les deux œuvres est extrêmement fluide. Il commence d’ailleurs par une première scène extrêmement bien pensée qui s’approprie l’espace hors de la scène et brise le symbolique du théâtre pour attirer des personnes extérieures à l’intérieur de la salle. La scénographie nous implique physiquement à l’intérieur de la pièce. De plus, l’écriture nous laisse beaucoup entendre la langue de Zola, en conservant dans le phrasé l’argot et proposant un travail physique fait sur le corps des acteurs qui laissent voir le poids progressif de la misère sur eux. La distribution féminine est magistrale, les comédiennes tiennent leurs rôles, droites, malgré le sujet de la pièce qui ne les épargne pas. Les deux musiciens ponctuent tout le spectacle, prennent une place assez juste pour faire monter l’émotion, d’une manière très cinématographique.”
- Philippe Chevilley : “Avec ses Chroniques, Eric Charon nous propose un très bon agencement de deux gros morceaux de Zola, avec en prime des comédiens très crédibles. Le jeu étant très naturel, il en devient assez intemporel. Mais la manière un peu forcée d’essayer d’ancrer toujours Zola dans notre temporalité n’est pas toujours nécessaire. Mais j’avoue avoir été un peu déçu par la fin du spectacle. Bien qu’elle soit une bonne idée, je trouve qu’elle tombe un peu trop vite, bien que cela ne gâche en rien la grande qualité du spectacle. Mais le jeu des comédiens, d’un naturel confondant, a su captiver tout le public, jeunes scolaires y compris. Ce qui est un joli tour de force pour une adaptation de Zola.”
A voir jusqu’au 15 décembre 2024 au Théâtre Gérard Phillipe, à Paris.
Extraits sonore
- Extrait de la captation de la pièce Marius de Joël Pommerat, 2024
- Extrait de la captation de la pièce “Les chroniques” d’Eric Charon, 2024