Des champs de tomates rouges vifs à perte de vue dans le Xinjiang : C’est un autre aspect de la mondialisation que je vous propose d’explorer ce matin, en partant d’un documentaire remarquable de BBC Eye Investigation. Dans son enquête d’une heure, la radio télévision britannique nous emmène dans le Xinjiang, une vaste région du nord-ouest de la Chine, près du Kazakhstan, notamment. “Le Xinjiang bénéficie d’un climat idéal pour cultiver des tomates”, explique BBC Eye, qui nous montre des champs de tomates à perte de vue. Leur rouge vif spectaculaire est même capté par satellite, mais c’est un univers bien plus sombre, que dévoile le média publique britannique. Bien loin des publicités du groupe Xinjiang Guannong, comme celle-ci où la société chinoise propose de rafraîchir ses connaissances sur les conserves de tomates, en montrant ses lignes de production de coulis, de concentrés, conditionnés dans des barils bleus. “Nos sites de production sont à pleine capacité, se targue un cadre : 260 000 tonnes de tomates fraîches ont été collectées et 35 000 tonnes de concentré de tomates ont été produites”, montre cette publicité relayée par BBC Eye Investigation. La chaîne télévisée chinoise internationale CGTN et une journaliste de China Media Group expliquent que nombre de plats européens comme les Fish and chips, saucisses Bratwurst ne peuvent se passer ketchup et donc de tomates chinoises.
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L’enfer des Ouïghours forcés de travailler, notamment dans les champs de tomates : C’est aussi dans le Xinjiang, souligne BBC Eye Investigation que la Chine a lancé, depuis 2017, un programme de détentions massives des Ouïghours, la minorité musulmane. Ils seraient un million à être détenus, forcés de travailler dans les champs de tomates ou dans les usines agro-alimentaires. Si Pékin parle de “camps de rééducation”, c’est une toute autre réalité, un enfer que décrit, à la BBC, Mamutjan, un professeur ouïghour arrêté plusieurs fois dans le Xinjiang. “J’ai été forcé à récolter des tomates pendant plus d’un mois. On devait se lever à 4h du matin. Le premier jour, on nous a demandé de ramasser 450kg de tomates et on nous a menacé si nous n’arrivions pas à atteindre cet objectif. Je n’ai pas réussi et on m’a alors roué de coups. On m’a attaché à des chaînes, suspendues au plafond d’une cellule sombre, et on me demandait ‘alors, pourquoi tu n’arrives pas à finir ton travail ?’ Pendant deux heures, les coups ont plu. Je ne pouvais plus m’asseoir, plus dormir. J’étais frappé si souvent, si durement que j’en porte encore les traces”. Mamutjan vit en exil, aujourd’hui, précise BBC Eye Investigation. Ce père de famille ouïghour ignore ce qu’est devenue sa famille mais il sait que son frère est mort. Mamutjan espère, lui, pouvoir monter en haut de la Tour Eiffel : c’était le rêve de son frère, il veut le réaliser en sa mémoire. Difficile de vérifier son témoignages, précise la BBC qui a interrogé une douzaine d’anciens détenus ouïghours mais leurs récits font écho à un rapport des Nations unies de 2022 sur la torture et le travail forcé dans le Xinjiang. En Allemagne, le quotidien Bild et BR24 soulignent que la Chine est le plus grand producteur de tomates au monde. Près de 70 millions de tonnes y ont été récoltées l’an dernier. Selon le quotidien économique italien Il Sole 24 Ore, l’Europe a presque doublé ses importations de concentré de tomate chinois l’an dernier.
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Comment ces sauces, ces concentrés de tomates arrivent-ils en Europe, depuis la Chine ?
Par train puis bateau : BBC Eye Investigation décrit comment la plupart des tomates du Xinjiang sont transportées en Europe depuis la Chine: “par train à travers le Kazakhstan voisin puis via l’Azerbaïdjan et la Géorgie d’où elles sont, ensuite, expédiées vers l’Italie”, rapportent également les journaux britanniques Telegraph et The Independent. Dans l’enquête de BBC Eye, le nom d’une entreprise est apparue à plusieurs reprises : Petti, grande entreprise de transformation de tomates en Italie, a reçu, entre 2020 et 2023, “plus de 36 millions de kg de concentré de tomates de l’entreprise chinoise Xinjiang Guannong et de ses filiales”, parfois de sociétés écrans, précise BBC Eye Investigation. Des experts interrogés par le média britannique estime que Xinjiang Guannong constitue un “Etat dans l’Etat”, avec une force économique et paramilitaire indéniable. Au printemps dernier, Coldiretti, l’influente association d’agriculteurs italiens, a manifesté sa colère en envoyant une flottille de petits bateaux pour protester contre le déchargement de tonnes de concentré de tomates chinois dans le port de Salerne, raconte également Il Sole 24 Ore.
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Le groupe Petti produit et vend des produits à base de tomates sous son propre nom mais l’un de ses cadres a admis à la BBC, sous caméra cachée, qu’il pouvait vendre des tomates chinoises sous une fausse étiquette italienne. Des barils bleus, en provenance du Xinjinag, ont également été vus dans une usine Petti, comme le montre BBC Eye Investigation. Ces produits sont forcément moins chers que ceux issus de la main d’œuvre italienne, en raison du travail forcé des Ouïghours souligne BBC Eye C’est comme cela que des tomates chinoises se cachent dans des sauces vendues notamment au Royaume-Uni et en Allemagne, dans les supermarchés Lidl ou dans les plus chics magasins Waitrose, note The Telegraph. BBC Eye l’a prouvé, en faisant analyser 64 produits à base de tomates par un laboratoire réputé, qui arrive à repérer l’équivalent de signatures des sols dans le monde entier. 17 produits, la plupart d’entre eux des marques propres vendues dans des détaillants britanniques et allemands, sont susceptibles de contenir des tomates chinoises.
Est-ce légal ?
Lorsqu’il s’agit d’aliments transformés – et cela inclut les conserves – il n’existe aucune obligation générale pour les fabricants d’indiquer l’origine des ingrédients, souligne la radio bavaroise Bayern 1, en Allemagne : “des mentions telles que ‘Made in Italy’ ou ‘Produit en Italie’ signifient uniquement que les matières premières (c’est-à-dire les tomates) ont été transformées en Italie. L’origine des tomates reste incertaine”. En cas de doute, Bayern 1 conseille de délaisser les conserves qui portent la mention “Non-EU Agriculture” dans les rayons des supermarchés. Une affaire de fraude alimentaire avait été très médiatisée en 2021, rappellent le Financial Times et la BBC : près de 5 000 tonnes de concentré de tomates avaient saisies, déjà, chez Petti, en Italie. L’entreprise avait faussement étiqueté des marchandises “tomates 100 % italiennes”, malgré l’ajout de concentré de tomates chinoises. L’affaire a finalement été classée.
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Législations et responsabilités éthiques : Si les États-Unis ont introduit une législation stricte pour interdire toutes les exportations en provenance du Xinjiang, l’Europe et le Royaume-Uni laissent les entreprises s’autoréguler pour s’assurer que le travail forcé n’est pas utilisé dans les chaînes d’approvisionnement, explique la BBC. Si bien que ces tomates se retrouvent en Italie (troisième exportateur mondial de tomates, derrière la Chine et les Etats-Unis) ou au Canada, expliquent Il Sole 24 Ore et Radio Canada. Au Japon, Kagome, le principal producteur de ketchup, a, lui, cessé d’importer des tomates du Xinjiang en Chine, a déjà indiqué le quotidien économique Nikkei Asia. Fin octobre, dans les pages du Financial Times, l’un des principaux patrons italiens de la sauce tomate Francesco Mutti, à la tête de la société éponyme, exhortait les autorités européennes à protéger les agriculteurs de la concurrence “déloyale”, du “dumping environnemental” de la Chine. Dario Dongo, journaliste et avocat italien spécialisé dans l’alimentation, estime devant la caméra de BBC Eye Investigation, qu’avec des produits peu coûteux en magasins, nous devrions nous demander qui en paie vraiment le prix.
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Des marques occidentales bénéficient encore du travail forcé des Ouïghours dans le textile : Une étude récente conclut qu’une quarantaine de marques occidentales dont Zara, Next, Pull & Bear, Burberry, Ralph Lauren, commercialisent des vêtements fabriqués à partir du travail forcé des Ouïghours, rapportent le Guardian, le journal Le Monde ou encore l’Institut syndical européen. “Des dizaines de marques bien connues sont identifiées comme présentant un risque élevé d’approvisionnement en matériaux, notamment en coton et en PVC, fabriqués par des Ouïghours contraints de participer à des programmes de transfert de main-d’œuvre imposés par l’État, selon un rapport d’Uyghur Rights Monitor, de l’Université Sheffield Hallam et du Centre ouïghour pour la démocratie et les droits de l’homme”, précise le Guardian ; rapport commandé par Raphaël Glucksmann, ajoute le quotidien britannique, quand il était encore eurodéputé du parti de centre-gauche Place publique.