Sa prestation époustouflante en Scapin il y a quelques années qui, depuis, tourne jusqu’en Chine, a fait de Benjamin Lavernhe un pilier de la Comédie Française. Dans En Fanfare d’Emmanuel Courcol en salle demain, l’acteur incarne un chef d’orchestre, pianiste, compositeur aussi, qui découvre l’existence d’un frère biologique cantinier dans une cuisine du nord de la France. Ce frère s’appelle Jimmy, et il est tromboniste dans une harmonie. Lumineuse et délicate, l’histoire évoque la fraternité et la solidarité au-delà des classes.
Apprendre le métier
C’est un film qui mêle la grande musique classique avec la musique des fanfares et des harmonies, celle qui résonne dans le nord de la France, où la pratique amateure tient une place centrale autour de ces formations qui réunissent tous les âges, tous les niveaux d’instruments. Thibaut Desormeaux, chef d’orchestre, rencontre son frère biologique, Jimmy, campé par Pierre Lottin, cantinier, tromboniste et passionné de jazz. Deux mondes se croisent, se découvrent, jusqu’au moment où Thibaut se retrouve à la tête de l’harmonie de son frère, soudain privée de chef. Que ce soit pour les scènes de concerts classiques, comme l’ouverture de la musique de scène d’Egmont de Beethoven, ou pour les scènes d’harmonie, Benjamin Lavernhe a donc dû apprendre le métier de chef d’orchestre, aidé du compositeur de musique contemporaine Michel Petrossian et du jeune chef Antoine Dutaillis. “J’ai eu une formation accélérée sur l’histoire de la direction musicale, explique Benjamin Lavernhe. Ils m’ont montré Georges Prêtre, Karajan, Gergiev et des extraits qui m’ont marqué. J’ai beaucoup regardé Gergiev diriger L’Oiseau de feu de Stravinsky, complètement habité. Avec ses cheveux, on aurait dit Jack Nicholson, et ça m’a aidé à comprendre cette profession, ce métier, à savoir comment ça marche.” Musicien lui-même, Benjamin Lavernhe s’est néanmoins retrouvé devant le défi de maîtriser des gestes, des règles, un langage propres au métier de chef. “J’ai appris les choses élémentaires, dit-il. La main droite pour la mesure, la main gauche, celle du cœur, qui donne l’intention, l’émotion. J’ai aussi appris la géographie de l’orchestre : où sont les cuivres, les cordes, les percussions… Au bout de deux mois et demi, j’avais cette grande scène d’ouverture du film et j’allais me retrouver devant 65 musiciens, à diriger avec ma baguette.” Et si le comédien apprend les codes de la direction d’orchestre, il se familiarise aussi avec les questions qui en découlent : “comment tient-on sa baguette ? Dirige-t-on avec ce petit temps d’avance, ou sur le temps ? Je découvrais tout : l’école finlandaise, Klaus Mäkelä, Case Scaglione… pour essayer de savoir quel style allait avoir mon propre chef.”
Leçon d’harmonie
Le scénario porte plusieurs messages forts, notamment celui du bouleversement que peut créer la musique en chacun de nous, éduqué à l’art ou non. Pour le personnage de Jimmy, c’est le jazz : “il a une culture du jazz hallucinante, explique Benjamin Lavernhe. Thibaut Desormeaux a des a priori sur son frère, mais en fait, ce frère va lui faire découvrir énormément de choses. Il y a beaucoup de partage, ça m’a touché. J’ai l’impression de faire partie d’une grande aventure populaire.” Tout comme l’aventure populaire que représentent les fanfares du nord. “Je ne les connaissais pas bien, reconnaît-il. J’ai découvert la différence entre une harmonie et une fanfare, je ne savais pas qu’il y avait des bois dans les harmonies, que le saxophone était un bois parce qu’il y a cette hanche, alors que les fanfares ne sont composées que de cuivres. Il y a plein de types de fanfares : anar, punk techno, fanfare municipale de Châtellerault en costume… Et puis cette fanfare de Lallaing, celle du film, la vraie, qu’Emmanuel Courcol a castée, avec des gens tellement humains, chaleureux, qui nous ont accueillis et qui n’en revenaient pas. C’était vraiment une chance de les rencontrer.”
Acteur musicien
Issu d’une fratrie d’artistes (une sœur danseuse et comédienne, deux frères musiciens), Benjamin Lavernhe est lui-même musicien, batteur, bassiste et chanteur, sans lire la musique. “C’est mon drame, avoue-t-il. Antoine Dutaillis, le chef qui m’accompagnait, me disait de ne pas oublier de tourner les pages pendant les prises.” Mais c’est sous une autre forme que la musique l’accompagne dans son métier d’acteur, au théâtre comme au cinéma, à travers le texte et la diction. “Notre texte est aussi une partition, déclare-t-il. On s’en parle beaucoup : la musicalité, fermer ou ouvrir le sens, mettre la pause au bon moment pour révéler la comédie des scènes”. Une musicalité du texte au cœur du travail de tout comédien de théâtre, et notamment du rôle de Scapin dans la comédie de Molière, qu’il interprète depuis 2017 dans la mise en scène de Denis Podalydès. “Mais il faut aussi s’en méfier, ajoute-t-il. Parfois on se le dit : ‘attention là, tu as ta musique’. Le sens produit des sons, et on peut jouer un même texte de tellement de manières différentes ! Parfois, quand on l’a joué cent fois, on a l’impression qu’on pourrait jouer la musique de toutes les partitions, de Géronte par exemple, parce que quelque chose se met en place.” Arrive alors le moment d’écrire une nouvelle musique : “certains soirs, on essaye justement de sortir de ce qu’on a l’habitude de jouer, et on se le dit entre nous : ‘ah dis-donc, ce soir tu as changé des choses’, car ça fait du bien aussi parfois de sortir de la mélodie”, conclut-il.