Stéphanie Duchêne donne rendez-vous dans son bureau au Laboratoire de recherche des monuments historiques (LRMH), qui jouxte le château de Champs-sur-Marne, en banlieue parisienne. Cinq mètres carrés où s’entassent des classeurs… et des trésors. “J’ai plein de petites boîtes”, glisse-t-elle comme si elle confiait un secret, en ouvrant précautionneusement l’une d’entre elles. Elle contient les premiers prélèvements réalisés dans l’histoire de la cathédrale Notre-Dame de Paris : “Ces tout petits prélèvements, pris dans des blocs de résine, correspondent à la polychromie, aux couleurs appliquées sur l’auréole du Christ du Jugement dernier.”
Mais quand elle n’examine pas des particules de Notre-Dame au microscope, l’ingénieure chimiste spécialiste de peinture murale et polychromie de 46 ans donne de la voix. “Je pratique le chant régulièrement. J’ai longtemps fait partie d’une chorale classique au conservatoire, ou à l’université, lorsque j’étais étudiante.” C’est donc naturellement, il y a deux ans, que Stéphanie Duchêne lance un appel. Des mails et des affiches, placardées sur le chantier de la cathédrale, pour former un chœur. Elle et sa collègue, l’archéologue Dorothée Chaoui Derieux, reçoivent une centaine de candidatures. Quatre-vingt-sept sont retenues, et presque tous les corps de métier représentés. “Le seul prérequis était d’avoir travaillé sur le chantier, tout le monde était le bienvenu. Des chanteurs ou musiciens confirmés aux gens qui n’avaient jamais chanté. Dans le chœur se côtoient des ingénieurs, des logisticiens, des architectes, un grutier, un ouvrier en BTP…”
“Nous chantons le feu de la grâce divine”
La naissance du chœur des compagnons de Notre-Dame. Ces derniers se sont retrouvés à huit reprises, pour répéter un morceau : le cantique de Jean Racine, par Gabriel Fauré, sur proposition du vice-recteur de la cathédrale : “C’est un morceau tout en nuance, qui en même temps dégage beaucoup de force. En outre, l’œuvre correspond assez à ce que l’on a vécu à Notre-Dame. Les paroles disent : ‘Répands sur nous le feu de ta grâce puissante’. Par le feu, la cathédrale a connu un désastre, et par le feu, elle renaît. Nous chantons le feu de la grâce divine.” Ci-après, un enregistrement, capté lors de l’ultime répétition du chœur à l’église Saint-Séverin, dans le Ve arrondissement de Paris :
Le cantique de Jean Racine composé par Gabriel Fauré, interprété par le chœur des compagnons
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Juste après la chute de la flèche, Stéphanie Duchêne participe au tri des vestiges. Puis, elle aide à définir le minutieux protocole de déplombage des peintures murales. Ce chœur, pour elles et ses camarades, était aussi une façon de se retrouver, en dehors du chantier. “Chaque fin de répétition, nous dînons ou prenons un verre ensemble. Nous continuons d’échanger sur les actualités du chantier, ce que font les uns et les autres. Une analogie m’a aussi semblé assez évidente entre le travail collectif d’un choeur, chaque voix étant nécessaire pour l’harmonie, et le travail réalisé sur le chantier, où tous les corps de métiers étaient absolument nécessaires pour que l’on puisse tenir les délais et rouvrir la cathédrale en 2024.”
Une tenue très spéciale pour l’occasion
“Dès le départ, les architectes en chef de la cathédrale nous ont soutenu, pour payer les cachets du chef de choeur, du pianiste accompagnateur”, tient à souligner Stéphanie Duchêne : “Nous nous sommes aussi fait confectionner une tenue ! Nous porterons tous le même coltin noire, un veste de travail. Dessus, un coq a été brodé : c’est le même que celui qui a été installé en haut de la flèche rénovée, le coq dessiné par l’architecte Philippe Villeneuve.”
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Une veste que les compagnons enfileront avec fierté mercredi prochain avant d’entonner le cantique, lors d’une messe donnée pour les grands donateurs, dans une Notre-Dame transfigurée : “Nous avons envie d’y être. L’envie de redécouvrir la cathédrale comme elle va être proposée au public et aux fidèles. Et puis, un peu d’appréhension. L’appréhension d’être à la hauteur, car on nous a fait confiance, on nous a accompagné. Le recteur et le vice-recteur ont été extrêmement bienveillants envers nous. Nous savons que nous n’avons pas été recrutés pour nos qualités vocales, mais nous nous efforçons d’être à la hauteur de ce cadeau qu’ils nous font.”
Beaucoup de membres de la chorale posent la même question : “Que fait-on après ?” Quel avenir pour le chœur des compagnons ? Stéphanie Duchêne songe à le structurer peut-être davantage, sous forme d’association par exemple. L’objectif serait de continuer à chanter ensemble pour maintenir l’alchimie, et prolonger ce qui est, pour beaucoup, le chantier d’une vie.
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