Queste sono croste: storie del brutto in pittura

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Il y a des hauts et des bas dans l’histoire de l’art, du beau et du laid mêlés, comme au Musée international d’art modeste de Sète, le MIAM, où se tient jusqu’au 9 mars une exposition intitulé Beaubadugly. Mais qu’est-ce qu’une croûte et surtout, qui nous sommes pour en juger ? Il est un arbitre des élégances qui fait parler de lui en ce moment : le Dictionnaire de l’Académie française. Il accueille le mot de croûte depuis la fin du XVIIIe siècle, au sens de peinture de mauvaise facture, alors que d’autres expressions familières, comme gagner sa croute, ou vieilles croutes, n’y avaient pas encore droit de cité.

Les poulbots qui urinent sur les murs, les clowns tristes de Bernard Buffet, et ce “Crying boy”, un enfant qui pleure dont l’image fait des miracles… qu’est-ce que sont ces croûtes au juste, art modeste ou art brut ? Allons-y voir, avec Nina Childress, musicienne et artiste, co-commissaire de l’exposition Beaubadugly au MIAM ; mais aussi Céline Delavaux, historienne de l’art, spécialiste des écrits de Jean Dubuffet et de l’art brut, coordinatrice éditoriale de Grande Galerie. Le journal du Louvre. Avec elles pour en parler, l’historien du vêtement et des images ordinaires Manuel Charpy, chargé de recherche au CNRS, directeur du laboratoire In-visu. En fin d’émission, nos trois invités sont rejoints par le dramaturge, metteur en scène et réalisateur Mohamed el Khatib.

Le « Crying boy » ou l’image commerciale miraculeuse

C’est d’une image qui hante l’imaginaire collectif dont nous parle l’historien Manuel Charpy : le Crying boy, une peinture qui donne à voir un enfant blond qui fixe la spectatrice ou le spectateur avec de grands yeux et de grosses larmes qui coulent sur ses joues. Les yeux et les larmes sont représentés avec beaucoup de précision et de reflets, de même que les ombres du visage, contrairement aux vêtements, assez miséreux, qui sont brossés un peu plus rapidement. L’iconographie est celle d’après-guerre, l’époque des enfants perdus dans les ruines, en pleurs ou au bord du suicide, comme dans Allemagne année zéro de Roberto Rossellini.

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“The Crying Boy” de Giovanni Bragolin
[–>– Wikimedia Commons

Peinture industrielle, le Crying boy est un objet mondial dont la provenance est assez mal documentée. On l’attribue à Bruno Amadio, également connu sous le nom de Giovanni Bragolin. Artiste d’origine vénitienne qui se serait formé dans une école de Beaux-Arts, il aurait eu quelques accointances avec le régime mussolinien avant de se réfugier dans l’Espagne franquiste où il aurait peint ce tableau, dans les décombres de la guerre et des bombardements. Mais quelle est l’histoire miraculeuse qui se cache derrière ? Tout commence par une friteuse qui explose en 1985…Manuel Charpy nous raconte :

Une maison brûle dans le sud du Yorkshire. C’est une petite maison ouvrière, dans une zone très frappée par la désindustrialisation. L’intérieur a bien brûlé peut-on lire dans tout un tas de description, mais il y aurait cette image qui serait restée intacte au milieu. Le beau-frère du propriétaire de la maison est pompier et dit qu’il a vu ça dans d’autres maisons dans la région. Le tabloïd le Sun va lancer une sorte de campagne d’appel à témoignages et en recevoir beaucoup venant d’anglais des milieux ouvriers qui auraient connu ce phénomène. D’un coup, on dit que c’est cet enfant pleurant qui est responsable des incendies. Le Sun va demander qu’on leur envoie toutes ces peintures. Ils vont en collecter à peu près 2500 et vont organiser, mais aussi photographier et médiatiser, un immense incendie de ces images, orchestré par des jeunes filles en casque colonial. C’est très étrange.

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Au-delà de l’étrangeté de ces évènements, c’est l’histoire planétaire de cette peinture et sa plasticité qui intéressent Manuel Charpy. En effet, récupéré aux quatre coins du monde, cet enfant qui pleure est lu très différemment selon les cultures. En Turquie par exemple, l’historien nous explique que le Crying boy a été utilisé pour sa dimension de martyr, sa valeur culpabilisatrice, à un moment où l’Islam se positionne contre l’État laïque. En Afrique du Sud en revanche, on retrouve cette image dans les demeures de familles modestes de banlieue, notamment du Cap. Le tableau est vissé au mur et ne doit être enlevé sous aucun prétexte, sinon la maison risque de brûler, contrairement à la légende de départ.

Art brut ou art modeste ?

Eminemment kitsch, le Crying boy appartient à ce qu’Hervé Di Rosa a nommé l’art modeste, c’est-à-dire l’art commercial. Subversive, cette notion d’art modeste est en filiation directe avec celle d’art brut, théorisée par Jean Dubuffet.

C’est en 1945 que le terme « d’art brut » apparait pour la première fois dans les écrits de Dubuffet. Céline Delavaux nous raconte : « En même temps qu’il élabore cette notion théoriquement, Jean Dubuffet en rassemble la preuve, comme pour la légitimer puisqu’elle est contestataire, à contre-courant de la définition de l’art qui a cours à son époque. Il va donc aller chercher des productions plastiques dans des lieux qui n’ont à priori rien à voir avec l’art. Ce sont des endroits que la culture et la société repoussent à leurs marges : asiles, hôpitaux psychiatriques, cercles disons populaires, puisqu’il trouve aussi des choses chez les adeptes du spiritisme ou du mediumnisme, campagne reculée, etc.»

L’art brut, contrairement à l’art modeste, repose sur un principe d’invention plutôt que d’imitation. Le fantasme de l’artiste brut, c’est ainsi quelqu’un d’« ignorant à la culture, indifférent à elle, pour mieux la réinventer », nous explique l’historienne de l’art. Il s’agit de « ne pas être dans ce que ce que Dubuffet reprochait à l’art, c’est-à-dire cette fameuse imitation des maîtres anciens, dans la répétition ». L’art modeste, ou l’art commercial, se place pour sa part aux antipodes de cette idée d’une production vierge de toute culture. Le Crying Boy par exemple, souligne Manuel Charpy, est une sorte de commentaire de l’histoire de l’art du XVIIème siècle, en ceci qu’il « reproduit les coups de pinceau de Frans Hals, nous évoque les mendiants et les bohémiens de Bartolomé Estéban Murillo, donc mobilise toute une imagerie de l’histoire de l’art assez canonique. »

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La sociologie comme école de l’émancipation dans l’œuvre de Mohamed El Khatib : contre le cynisme, réhabiliter la valeur affective de l’art

Metteur en scène de renom, dramaturge de la vie des objets et collectionneur de condition humaine, Mohamed El Khatib pratique un théâtre documentaire qui regarde du côté de la sociologie. Pour lui, cette dernière permet de « mettre les mains dans le cambouis dans ce qu’on ne veut pas voir dans le travail artistique, c’est à dire les conditions sociales de ceux qui travaillent et de ceux qui regardent ». Mise à contribution de l’art, la sociologie se donne comme une véritable école de l’émancipation dans son travail. En témoigne le dispositif qu’il a imaginé en 2022 avec la Fondation Abbé Pierre à la Collection Lambert en Avignon, intitulé « Notre Musée ». Le principe était simple : inviter des personnes précaires à choisir des œuvres dans la réserve de la Collection Lambert et les mettre en regard avec leurs objets fétiches. Regrettant le fait que les musées sont souvent des lieux où l’on vit une expérience qui serait « de l’ordre de la distance avec les classes qui n’y vont pas », le metteur en scène ambitionnait par ce projet d’atténuer le rapport de domination qui se joue dans l’institution muséale. Il raconte :

« Il y avait l’envie d’interroger ce qu’est la fonction de commissaire, c’est à dire quelqu’un qui choisit pour vous des œuvres. Quels critères esthétiques, quels experts président au choix des œuvres qu’il faut montrer au plus grand nombre? Je voulais commencer par interroger cette opération de consécration, comme de l’eau qui devient de l’eau bénite, mais de le faire avec des gens qui me semblaient être le mieux placés, c’est-à-dire des gens qui, de leur vie, n’étaient jamais allés dans un musée. Je leur demandais d’apporter l’objet qui leur est le plus cher. Ça pouvait être un ouvre-boîte ou une photo de famille, en tout cas un objet qui a une valeur affective, pour le mettre en résonance avec une œuvre de la collection d’Yvon Lambert, donc avec un Boltanski, une œuvre de Miquel Barceló ou une photo de Nan Goldin, etc. C’est comme ça qu’on a réinventé notre musée, en mettant au centre non plus la valeur marchande ou esthétique, mais la valeur affective. Ceci pour mettre dans un rapport presque d’égalité, de dialogue, des artistes reconnus et des citoyens éclairés inconnus. » Mohamed El Khatib

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Si la valeur esthétique n’intéresse guère Mohamed El Khatib, il reconnaît toutefois du moche dans la création contemporaine. Pour lui, il se loge avant tout dans le cynisme de certaines productions artistiques, dans leur absence de désintéressement. C’est contre cela que se bat son théâtre, sorte de conjuration obstinée contre le second degré :

« Le second degré, c’est la marque de l’entre-soi et c’est très puissant. Dans l’œuvre, quand on s’amuse à détourner des canevas, à détourner des croûtes, c’est une façon d’avoir un rapport distancié. Or, les classes populaires n’ont pas le luxe d’avoir ce rapport distancié. Ce qui est courageux aujourd’hui, c’est d’être de plain-pied dans le premier degré et de réhabiliter une forme de tendresse immédiate, primaire, sans chercher à se valoriser. Traiter avec le même égard les productions quelles qu’elles soient. » Mohamed El Khatib

La Carte Postale de Mathieu Potte-Bonneville : qu’est-ce qui est moche ?

Au cours de l’émission, nous avons la joie de recevoir une carte postale du philosophe et directeur du département Culture et création du Centre Pompidou, Mathieu Potte-Bonneville. C’est une couverture qui nous attend au verso cette fois-ci, celle de l’hebdomadaire Télérama en 2010, barrée d’un “Halte à la France moche !” en lettres rouge sur fond d’un ciel bâché griffé de pylônes noirs. Aux enseignes de grandes surfaces, on reconnait là l’une de ces zones d’activité commerciales et pavillonnaires soumises à l’automobile. Et pour cause : le numéro abrite une vaste enquête sur la transformation des zones périurbaines, intitulée “Comment la France est devenue moche”. Cette enquête est signée par les journalistes Vincent Rémy et Xavier de Jarcy. Mais qu’est-ce que cela veut dire au juste, “moche” ? Extrait :

Qu’est-ce qui est moche ? La France périphérique, là où les enseignes globalisées émiettent les existences pour mieux les indexer à l’horizon de la marchandise ? Ou le jugement qui, regardant de loin ces endroits, paraît sceller leur relégation ? Et d’abord, pourquoi moche plutôt que laid ? Dans un texte passionnant sur “l’esthétique du laid, de Hegel à Rosenkranz”, la germaniste Florence Bancaud souligne comment Hegel voit dans la laideur l’indice d’une disharmonie entre le sujet et le monde, où affleurent les contradictions modernes : ce qui est laid est pour Hegel travaillé par un conflit intérieur, par où se faufile une histoire. A travers la laideur on perçoit que quelque chose bouge, insiste, s’efforce et désespère d’advenir. Je serais tenté de soutenir qu’on tient là une différence entre le “laid” et le “moche” – le moche, ce serait la laideur assortie d’un « personne ne bouge ». Si certains paysages sont moches, c’est qu’on les pressent modelés par des forces qui s’y entendent pour empêcher quoi que ce soit d’arriver, hormis ce qui peut donner lieu à un crédit à la consommation ; et si certains jugements sont moches, s’il est moche de parler de la France moche et si c’est celui qui le dit qui y est, c’est que cela aussi dénie tout bougé possible dans l’usage de ces espaces, refuse à celles et ceux qui les habitent toute inventivité, toute capacité de faire quelque chose de la vie qu’on leur fait, bref les enferme à double tour.” Mathieu Potte-Bonneville

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Les références de l’émission :

Bibliographie des invités :

  • BEAUBADUGLY – L’autre histoire de la peinture, catalogue d’exposition, Sète, MIAM, éditions La Muette, 2024.
  • Manuel Charpy et Gil Bartholeyns, L’étrange et folle aventure du grille-pain, de la machine à coudre et des gens qui s’en servent, Paris, Premier Parallèle, 2021.
  • Céline Delavaux, L’Art brut, un fantasme de peintre, Paris, Flammarion, collection Champs arts, 2018, 416 p. (Nouvelle édition de L’Art brut, un fantasme de peintre. Jean Dubuffet et les enjeux d’un discours, 2010).
  • Céline Delavaux, L’Art brut. Le guide, Paris, Flammarion, collection dirigée par Elisabeth Couturier, 2019.
  • Céline Delavaux, Il était une fois l’art brut… Fictions des origines de l’art, avec Déborah Couette et Tatiana Veress, catalogue d’exposition, Bruxelles, Art & Marges Musée, 2014.

Archives et musiques diffusées pendant l’émission :

  • Extrait du film Le père noël est une ordure, réalisé par Jean-Marie Poiré (1982)
  • “Boys Don’t Cry” de The Cure, sur l’album du même nom (1980)
  • Bande annonce du documentaire Copyright Van Gogh, réalisé par Yu Haibo et Yu Tianqi Kiki (2016). Traduit par Sophie-Catherine Gallet.
  • “La Banane” de Philippe Katerine, sur l’album Philippe Katerine (2010).
  • Bande annonce du film Big Eyes, réalisé par Tim Burton (2014).

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