Jean est un patient que je reçois pour la première fois, son généraliste ayant pris sa retraite et comme beaucoup il voudrait que sa santé ne s’arrête pas à une date… Il a 52 ans et en le rencontrant je lis sur son visage les traits d’un homme où les difficultés de la vie se sont cumulées dans un ventre d’où l’épaisseur est proportionnelle à la lassitude de son regard !
Derrière ses kilos en trop, son taux de sucre flirte dangereusement avec son cholestérol. Ses yeux évitent les miens, le regard baissé vers ses résultats sanguins, le diabète n’est pas loin. J’ai l’impression de ne pas trouver le bon lien, comme s’il était là à attendre ma parole comme la sentence d’un ordre autoritaire ! Il me dit « Docteur, avec le gras j’ai déjà plus le droit aux fromages et aux charcuteries, vous allez me dire « Jean, plus de sucre et vous devez faire du sport » ? vous les docteurs vous faites dans le facile, « y’à qu’a faut qu’on », mais moi j’ai mes deux enfants depuis que ma femme est morte et un sale boulot, allez-y dites-moi ce que je dois encore faire comme effort ! »
Bien sûr selon les bonnes recommandations médicales oui il faut faire 30mn d’activité physique par jour 5 fois par semaine, diminuer le sucre et avoir une alimentation variée avec fruits, légumes, poissons… Mais la vérité médicale n’est pas toujours synchrone à ce que vivent les patients, et Jean il est triste et harassé. Les discours de bon sens lui rappelleraient le danger du diabète et les bienfaits d’un mode de vie sain. Il a des signes dépressifs ? alors action/réaction, un psychologue et on discute d’un traitement antidépresseur ! Pour les docteurs c’est rassurant de se dire qu’on fait du bon boulot sous caution de cocher les cases des recos médicales ! Sauf que s’impliquer ce n’est pas toujours suivre les protocoles, mais de redonner au patient du sens à sa santé. Alors je lui dis « Et vous, qu’est-ce qui vous ferait plaisir pour vous aider ? ». Il sursauta, ses yeux fixèrent enfin les miens.
Plaisir, un mot souvent oublié en médecine. Perplexe il me dit que plutôt que d’obliger à suivre des contraintes certes saines mais loin de sa réalité quotidienne, on ne lui avait jamais demandé ce dont il pouvait avoir envie. Ma question n’était pas innocente : Plutôt que de se focaliser sur la recherche des causes de la maladie, pourquoi pas s’intéresser sérieusement aux forces qui maintiennent la santé de chaque personne ?
Ça existe réellement et ça s’appelle la Salutogenèse Ali ! Développé dans les années 90 par Antonovsky, c’est un système de santé qui permet d’utiliser les ressources à « l’origines de la santé » de chaque individu pour l’aider à se soigner avec ses forces, plutôt que sur ses faiblesses. Avec Jean nous nous avons décidé de comment le soigner à partir de son courage au travail, sa détermination et sa résilience après la mort de sa femme. Et comme une « bonne recette » je lui ai prescris des activités et des repas de plaisir, forces de vie et de motivation donnant du sens et de la cohérence à ses efforts. Je crois bien que dans ces temps difficiles de notre système de santé nous en avons tous besoin, y compris les soignants.
Car pour faire du « neuf » Ali, le philosophe Gilles Deleuze nous le dit : les concepts sont outils de notre pensée sans lesquels nous ne pouvons ni agir ni comprendre ce qui nous entoure. Ils ne sont pas faits pour être contemplés mais pour être utilisés !
Duboc, A. (2012) . Protection ou salutogénèse. Dans Formarier, M. et Jovic, L. (dir.), Les concepts en sciences infirmières 2ème édition. ( p. 254 -256 ). Association de Recherche en Soins Infirmiers. https://doi.org/10.3917/arsi.forma.2012.01.0254.
Pleyer JA, Pesliak LD, McCall T. Salutogenic Environmental Health Model-proposing an integrative and interdisciplinary lens on the genesis of health. Front Public Health. 2024 Oct 17;12:1445181. doi: 10.3389/fpubh.2024.1445181. PMID: 39484345; PMCID: PMC11524910.
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