L’édito de Charles Pépin :
J’aimerais ce matin vous raconter l’histoire d’une femme. Elle est chez elle, un matin, en train de se faire un café et elle entend, à la radio, la voix d’une autre femme. Cette autre femme nomme un homme et dit l’emprise dont elle a été victime, les violences qu’il lui a faites subir. Elle avait quatorze ans, lui presque quarante. Elle était une enfant, lui un homme de pouvoir. Elle prend la parole pour dire cette enfance que cet homme lui a prise.
Elle écoute, à la radio, cette voix d’une autre femme et au début, ça ne lui fait pas grand-chose. Elle est en train de faire autre chose, elle se prépare, elle est encore en retard, peut-être que ce n’est pas le moment… Un peu après, elle est sur son vélo et malgré le soleil, malgré le ciel bleu comme du métal et le vent sur ses joues, malgré tout, elle se sent bizarre. Elle se dit que c’est bizarre de se sentir bizarre, il fait si beau pourtant, mais ça ne va pas plus loin.
C’est seulement après, après sa matinée de boulot, à l’heure du déjeuner, qu’une phrase lui revient. Une phrase que cette autre femme a dite à la radio, une scène que cette autre femme a décrite. Elle devait déjeuner avec des collègues et mais elle part marcher dans la ville, seule, sonnée, seule avec ce qui monte en elle, seule avec son effroi, enfin elle n’a pas le choix, elle n’arrive pas à parler de toute façon, elle a froid à l’intérieur, et puis très chaud, elle se sent mal, elle retourne au boulot. Les choses à faire la détournent un temps de cette conscience qui monte en elle et puis le soir venu, la voix de cette autre femme lui revient – ses mots sont si précis, si nécessaires, c’est dur mais ça lui fait déjà du bien de le dire, de se le dire : moi aussi.
Moi aussi j’ai vécu ça. Moi aussi je suis victime de cette violence-là. Moi aussi. Alors elle envoie un message privé sur Instagram à cette femme qui a pris la parole à la radio. Elles vont être des centaines à lui écrire, des centaines puis des milliers. Elles vont être des milliers à se lever pour dire moi aussi, à sortir du silence et à prendre la parole pour dire ce que nous avons encore du mal à entendre : que cette violence n’est pas seulement celles de ces hommes, égarés dans leur névrose ou leur narcissisme, leur mauvaise foi ou leur lâcheté, mais bien celle d’un système.
Pour en parler ce matin, de la violence de ce système et de ce que c’est que de prendre la parole, j’ai la joie de recevoir cette autre femme. Celle qu’elle a entendue à la radio et dont les mots ont fait tant de chemin – tant de chemin et tant de bien. Actrice, écrivaine, scénariste et réalisatrice, notamment de la série Icon of french cinema et du court métrage Moi aussi, Judith Godrèche est avec nous ce matin sous le soleil de Platon et avec elle, nous allons nous demander ce que c’est que prendre la parole.
Programmation musicale
- BIG THIEF – Masterpiece – 2016
- ZAHO DE SAGAZAN – Ô travers – 2024
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