Comment représenter la musique à l’image, et ce qu’elle produit sur qui l’écoute ; comment elle peut aussi raconter un territoire, que ce soit une ville ou un pays tout entier ? Ce sont quelques-unes des questions qui traversent et agitent, avec plus ou moins de bonheur dans la réalisation de leurs ambitions, les cinéastes qui nous intéressent aujourd’hui.
“Fotogenico”, de Marcia Romano et Benoît Sabatier
Les premiers sont Marseillais, d’adoption et de cœur. Après quelques autoproductions, dont trois longs-métrages punks en mode do it yourself, inédits en salles, des clips, des documentaires et autres zigzags, leur mélantonique Fotogenico est sorti en salles ce mercredi. Vous y verrez un Marseille que vous n’avez jamais vu, pour peu que vous ne soyez pas familier du Cours Julien, de ses disquaires alternatifs, salles garage-punk et autres clubs électro-noise. Visite guidée avec Marcia Romano, Benoît Sabatier, et Raoul !
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A noter : Fotogenico est sortie en salles ce mercredi, et la musique de Froid Dub est disponible depuis le 25 novembre sur toutes les plateformes, en CD, et bien sûr, en vinyle.
“Emigration et jazz à Hollywood”, de Claire Demoulin
Le second était né Wilhelm Dieterle en 1893 à Ludwigshafen, avant de devenir William Dierterle, un des premiers cinéastes allemands à s’exiler à Hollywood, avant même l’arrivée des Nazis au pouvoir. Inventeur d’un genre encore aujourd’hui très vivace, le biopic, il tenta en 1942 d’élargir le concept à l’échelle de son pays d’adoption, en filmant la première musique qui y avait été inventé, le jazz, ses racines et son histoire. Ça a donné un Film qui n’a pas marqué l’histoire du cinéma : Syncopation, La fièvre du jazz pour son titre français, mais qui est passionnant à étudier, pour ce qu’il raconte des contradictions et écarts entre les intentions premières d’un cinéaste (reconnaître les racines africaines-américaines du jazz), et les limites de ces représentations dans une Amérique encore ségréguée et un Hollywood soumis au code Hays. C’est ce qu’a fait une chercheuse en cinéma et maîtresse de conférences à l’Université de Montpellier 3, Claire Demoulin, dans un très stimulant essai, Emigration et jazz à Hollywood.
Le journal du cinéma
Vingt dieux, de Louise Courvoisier
Premier film d’une jeune cinéaste, récompensée à ce titre d’un très mérité Prix Jean Vigo, Vingt dieux, que Louise Courvoisier a filmé dans son Jura natal (un Jura qu’on avait peu vu à l’écran depuis le merveilleux Passe Montagne de Jean-François Stévenin, et qu’on a redécouvert cette année avec Le Roman de Jim des frères Larrieu, grand et lui aussi mérité succès de l’année, on souhaite le même à Vingt dieu !) Tourné aux Etats-Unis, on aurait dit que c’est un western avec cowboys et cowgirls (il y a beaucoup de vaches – laitières – dans ce film), ou un white trash movie, tant Louise Courvoisier, comme ses homologues américains Jeff Nichols ou Roberto Minervini, y filme la précarité, la pauvreté même, la rugosité des corps et des mots, mais avec une vraie tendresse, et une grande pudeur, à l’image de ses personnages, qui ont l’art d’en faire tout un fromage. Nous avions reçu Louise Courvoisier au dernier festival de Cannes et vous proposons un petit rappel de cette conversation… “Ce film, expliquait-elle, est parti des personnages, de l’envie de parler de ces gens et en inscrivant le film dans ce territoire-là, et j’avais envie d’aller jusqu’au bout de la démarche, c’est à dire de vraiment raconter le territoire jusque que dans ce qu’on y fait. Or, ce qu’on y fait, c’est du comté principalement quand même ! Et je trouvais intéressant le parallèle entre la trajectoire du personnage et le comté qu’il apprend à faire, et qui va aussi prendre du temps, s’affiner un peu. Et en effet, c’est inédit on n’a jamais vu ça et on s’est demandé avec mon chef opérateur comment filmer le comté pour le rendre cinématographique, et petit à petit réussir à raconter cette matière et trouver de la sensualité aussi de ce côté-là. Il y avait tout un travail esthétique à élaborer dans la manière de filmer cette matière, qui va aussi de pair avec la corporalité du personnage.“
Pour en savoir plus sur le film et sa réalisatrice, l’entretien qu’elle nous avait accordé au Festival de Cannes, c’était le 18 mai dernier, et vous pouvez aussi la retrouver en couverture du dernier Positif, avec un long entretien à l’intérieur.
Les annonces de Plan large
Côté récompenses décernées à une jeune cinéaste encore, le Prix André Bazin, a été remis jeudi soir par les Cahiers du cinéma et la présidente de son jury, Patricia Mazuy, à l’Américaine Joanna Arnow, pour son irrésistible et audacieux La Vie selon Ann, bravo à elle !
D’autres réalisatrices, françaises elles, sont à l’honneur d’un vaste cycle au Forum des Images, à Paris, jusqu’au 6 avril. Elles sont 10, elles s’appellent Rebecca Zlotowski, Alice Diop, Sophie Letourneur, Jeanne Herry, Blandine Lenoir, Mia Hansen-Løve, Valérie Donzelli, Delphine et Muriel Coulin et Alice Winocour, et Elles sont là pour rester, assure le titre de la manifestation. C’est tout ce qu’on espère pour elles !
Concernant leurs homologues masculins, qui sont déjà là depuis un bon bout de temps, pour fêter son dernier mois d’ouverture avant mise en sommeil des salles de cinéma le temps des travaux à venir l’année qui vient, le Centre Pompidou accueille les films documentaires, extraordinaires, des années 2010 et 2020 de Werner Herzog, en attendant la semaine prochaine la sortie de son halluciné, comme toujours chez lui, Au cœur des volcans. Et pour clore la rétrospective et l’installation d’Apichatpong Weerasethakul, un court métrage inédit du Thaïlandais est projeté, il s’appelle Le bureau qui avait peur, il répond à la question rituelle du Centre Pompidou à ses cinéastes invités, « Où en êtes-vous ? » Plusieurs séances possibles, ne le ratez pas !
Ne ratez pas non plus, en salles et en DVD, la rétrospective du grand cinéaste, poète et philosophe Ghassan Salhab, et notamment la réédition en copie restaurée de son premier film, Beyrouth Fantômes, une traversée de la capitale libanaise à la fin de la guerre civile, filmée depuis la fin du siècle, d’où surgit, comme venue d’aujourd’hui, une ville hantée et jamais morte, car toujours mourante, c’est peut-être justement là le problème, dit le film, car alors comment renaître ?
La chronique de Sandra Onana : Conversation secrète de Francis Ford Coppola
Un grand spécialiste de la filature, Harry Caul, une pointure dans son domaine, est embauché avec son équipe pour enregistrer les conversations d’un couple dans un parc de San Francisco… C’est le début de Conversation secrète, un film tourné par Francis Ford Coppola entre les première et deuxième parties du Parrain, et qui lui a valu, c’était il y a tout juste 50 ans, sa première Palme d’or à Cannes, 5 ans avant Apocalypse Now. On est en 1974, soit deux avant après le Watergate, en pleine paranoïa généralisée dans le pays comme au cinéma. Brian De Palma reviendra d’ailleurs sur le motif avec son Blow Out 7 ans plus tard. Le film est disponible jusqu’à la fin du mois, et gratuitement, sur arte.tv. Qu’y a-t-il à entendre aujourd’hui à cette Conversation secrète ?
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Extraits sonores
- Extraits de Fotogenico de Marcia Romano et Benoît Sabatier (2024)
- A.G.N.E.S. par Froid Dub (dans la BO de Fotogenico)
- Extraits de Syncopation de William Dieterle (1942)
- Extrait de Vingt dieux de Louise Courvoisier (2024)
- Kisses Sweeter Than Wine par Jimmy Rodgers
- Extrait de Conversation secrète de Francis Ford Coppola (1974)
- Thème de Conversation secrète par David Shire