En parlant, elle avait ouvert la voie au #Metoo français, et bouleversé le monde du cinéma. Cinq ans plus tard, l’affaire Adèle Haenel arrive au tribunal, avec le procès à Paris du réalisateur Christophe Ruggia, jugé lundi et mardi pour agressions sexuelles sur mineure. L’homme de 59 ans, qui conteste les accusations, et Adèle Haenel, partie civile au procès, viendront à l’audience devant le tribunal correctionnel, ont indiqué leurs avocats respectifs. La justice s’était saisie de cette affaire en 2019, après une enquête de Mediapart sur les faits dénoncés par l’actrice, qui s’est depuis mise en retrait du cinéma.
Les alertes de l’équipe du film
Adèle Haenel a 11 ans quand elle rencontre Christophe Ruggia, 12 quand débute le tournage du film “Les Diables”. Un rôle intense, celui d’une jeune autiste qui développera une relation incestueuse avec son frère. Un tournage difficile. Le réalisateur fait barrage au reste de l’équipe pour qu’Adèle Haenel se plonge pleinement dans son personnage.
Les alertes sur l’emprise exercée par le réalisateur commencent. “Attention, c’est une petite fille”, lui dit la directrice de casting. “Anormal et malsain”, dénonce la scripte. “Trop tactile et ambigu”, prévient la coach des acteurs. “Ça va pas, on dirait un couple c’est pas normal”, s’était dit une scripte du film.
Des après-midi passés chez Christophe Ruggia
Mais c’est après la période de tournage que débutent les agressions sexuelles, selon Adèle Haenel. Des dizaines de samedis après-midi passés chez Christophe Ruggia, pour découvrir des films, dit-il. Elle rapporte des attouchements répétés jusqu’à ses 15 ans.
Les agressions qu’elle dénonce se déroulaient toujours de la même façon : il est assis sur un fauteuil, elle sur le canapé et “très vite”, il trouve un prétexte pour se rapprocher. Il commence par lui caresser les cuisses, remonte “l’air de rien”, puis lui touche le sexe ou la poitrine. “Il respirait fort” et “m’embrassait dans le cou”, décrit-elle. Et si elle résistait, “il réagissait de manière choquée et avec cet air de “non mais qu’est-ce que tu vas croire ?”, alors qu’il avait sa main dans ma culotte”.
Le réalisateur nie
Les visites s’arrêtent fin 2004. Mais plusieurs personnes témoignent des réactions épidermiques de l’actrice à l’évocation du réalisateur ou du tournage au fil des années. Christophe Ruggia a confessé à sa sœur être tombé amoureux d’Adèle Haenel. Devant les enquêteurs, il a soutenu de façon continue que l’actrice avait mal interprété ses intentions. Il niera tout. Les agressions, les déclarations d’amour, l’emprise. Il évoquera la “sensualité” de l’actrice de 12 ans pendant le tournage. Les “poses” que prenait Adèle Haenel sur son canapé, ses mouvements de “langue”, “dignes d’un film porno” qui le mettaient mal à l’aise voire le “dégoûtaient”.
Adèle Haenel a dit avoir décidé de parler publiquement en apprenant que Christophe Ruggia préparait un nouveau film avec des adolescents – dont les personnages portaient les mêmes prénoms que le frère et la sœur des “Diables”. Le réalisateur, jugé pour agressions sexuelles aggravées par la minorité de la victime et sa position d’autorité, encourt jusqu’à dix ans de prison et 150.000 euros d’amende.