Avant le 5 novembre 2024, tout le monde s’attendait à un scrutin très serré : “États-Unis, une campagne tendue et indécise”, titrait le journal Le Monde en octobre de la même année. Or Donald Trump a emporté cette élection haut la main, malgré l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021, et une liste interminable d’infractions qui font apparaître Richard Nixon comme un enfant de chœur. En 2017, l’écrivain Philip Roth tenait à l’encontre de Donald Trump de virulents propos, rapportés par le journal Libération : “Donald Trump souffre de narcissisme aigu ; c’est un menteur compulsif, un ignorant, un fanfaron, un être abject animé d’un esprit de revanche et déjà quelque peu sénile”. Mais peu importe pour l’opinion américaine et ses Grands électeurs, le 45e président américain sera aussi le 47e, pour le meilleur et pour le pire…
Pour percer l’énigme de ce retour triomphal, Alain Finkielkraut reçoit Laure Mandeville, journaliste au Figaro, pour son ouvrage Qui est vraiment Donald Trump ?, paru en 2016 et Yascha Mounk, politologue dont le dernier essai s’intitule Le piège de l’identité.
L’élection de Donald Trump, un retour vraiment triomphal ?
Comment expliquer la victoire de Donald Trump ? Comment comprendre qu’un tel personnage, avec des propos si insultants, notamment pour son adversaire Kamala Harris, ait obtenu tant de voix et de soutien ?
Pour Laure Mandeville, il serait inopportun de réduire Donald Trump à sa vulgarité : “Certes, son vocabulaire est limité, certes le personnage sait être indécent et ne s’en prive pas, mais dire qu’il n’y a rien sur le plan humain chez Trump, qu’il n’y a pas la moindre nuance, est une erreur. Donald Trump a fait preuve au contraire de capacités remarquables, tant sur le plan politique que sur le plan humain, pour connecter avec une partie de l’Amérique qui avait été complètement abandonnée, occultée, oubliée, par le corps politique, Républicains et Démocrates confondus. De ce point de vue, c’est une performance de la part de Trump tout à fait remarquable. Au fond, c’est grâce à son indomptabilité plus impressionnante que jamais lors de sa tentative d’assassinat, que Trump est parvenu à se faire propulser par les Américains à la tête du pays une deuxième fois”.
Yascha Mounk achève de dépeindre son portrait : “Il y a des vérités dans ce que dit Philip Roth, Donald Trump n’est pas un intellectuel, il peut mener des propos simplistes, il dit beaucoup de choses fausses, et en même temps, il a compris une certaine vérité profonde sur son pays. On a vu que Trump est devenu le porte-parole d’une classe ouvrière multiethnique, qui a gagné en influence dans l’électorat ces dernières années, et qui surtout ne se reconnaît pas dans les profonds changements qui bouleversent l’Amérique aujourd’hui. Trump a cette capacité d’incarner le nouveau, le changement tant souhaité par une grande partie des Américains. Une majorité d’entre eux, les plus jeunes notamment, ont une vision positive de Trump, ce qui est tout à fait remarquable.”
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Wokisme vs trumpisme, à la recherche d’un coupable
Un certain refrain persiste depuis le 5 novembre dernier : les “wokistes” seraient responsables de cette victoire. Après l’inflation et l’immigration, le problème “woke” obsède l’Amérique et envahit tous les débats. Pourtant, Kamala Harris n’a pas mené cette campagne “woke” qu’on lui reproche si souvent.
Laure Mandeville rappelle que “Trump est l’expression d’une époque, celle où l’on constate un laisser-aller général dans l’expression, une absence de culture qui gagnerait du terrain, et cette volonté de dynamiter le politiquement correct, le clergé intellectuel et politique, imposé par le Parti démocrate du pays, a propulsé ce que les Américains ont vu comme un bélier partant à l’assaut de cette nouvelle forteresse idéologique et intellectuelle, qui paraissait inattaquable. Les Américains ont pris ce qu’ils avaient à leur disposition, c’est-à-dire l’homme qui est apparu et qui a fait le diagnostic suivant : un besoin de revenir à la nation, de penser différemment, de réhabiliter l’idée de protection du pays contre les grands vents de la globalisation, et plus encore, la nécessité de s’en prendre au wokisme”.
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Yascha Mounk explique ainsi que “dans les années 1960, le Parti républicain incarnait les bonnes manières, il était le défenseur de la tradition américaine. À la même époque, c’était donc la gauche qui incarnait le choc, et qui voulait faire peur à ‘l’establishment’. Aujourd’hui ces rôles sont inversés, et dans les faits, dans la perception des américains, ce sont les Démocrates qui incarnent désormais cette mise en ordre, ce parti des gens bien, diplômés, lettrés et qui ont le pouvoir de décider de ce qui peut être dit ou non. Tandis que le Parti républicain s’est transformé en une force contre-culturelle qui prône ces discours vulgaires et volontairement choquants”.
Références bibliographiques
- Yascha Mounk, Le piège de l’identité. Comment une idée progressiste est devenue une idéologie délétère, Éditions de l’Observatoire, 2023
- Laure Mandeville, Qui est vraiment Donald Trump ?, Éditions Équateurs/Le Figaro, 2016
- Neil Postman, Se distraire à en mourir, Flammarion, 1986